Un art des équilibres
Maintes fois,
j’ai constaté que les toiles de Marie captaient
l’attention des personnes peu familières de
l’art
abstrait, parfois même réticente à son
égard. Un temps, j’ai cru à tort que le
pouvoir de
séduction auprès des profanes et des sceptiques
provenait
de leur caractère subrepticement figuratif, de leur
capacité à étonner
l’œil du spectateur
sans le désorienter au point de le laisser sans
repères
ni balises. En effet, on ne peut s’empêcher
d’identifier sous l’évidente abstraction
des formes
colorées, des fragments d’êtres et
d’objets
réels ou imaginaires appartenant à notre univers
familier : ici, l’esquisse d’un dessin
d’enfant,
là, un corps stylisé d’animal ou de
quelque
chimère, là encore les scories
pétrifiées
d’une comète évadée du
cosmos ou
l’élan incandescent d’une roche
expulsée des
entrailles de la terre… Je me trompais, parce que toute
peinture, aussi absolument abstraite soit elle, conserve des liens non
intezntionnels avec l’univers de la
figuration. Nous ne pouvons jamais totalement
prendre congé du monde où
s’écoule notre existence ordinaire.
L’art abstrait nous en arrache, mais seulement par bribe et
par intermittence, comme par surprise. Les œuvres
d’un Kandinsky, par exemple, malgré leur abandon
radical de l’univers figuratif, évoque des membres
d’insectes, des débris de planète, des
lambeaux d’oriflammes, des pans
d’édifices en équilibre improbable sur
leurs angles acérés…
Je crois finalement que la singularité du talent de Marie Javouhey
, réside pour l’essentiel dans sa
maîtrise subtilement harmonique des forces et des rythmes
contrastés. Elle s’exprime dans cet alliage
complexe et quasi alchimique de fantaisie onirique et de rigueur
architectonique, de légèreté contenue
et d’application distanciée, de lyrisme et de
sobriété, d’audace et de pudeur, de
rugosité et de tendresse. La peinture de Marie
échappe aux excès émotifs et aux
facilités anarchique de
« l’abstraction
lyrique ». Elle réfute
également la raideur formelle et la froideur impersonnelle
de « l’abstraction
géométrique ». La
musicalité intimiste de ses canaïeux chromatiques,
qu’interrompent ou enlacent de minces lianes et que
déchirent des silex sombres ou éclatants, se
tient à distance de toute complaisance narcissique, et la
composition assurément ordonnée de ses volumes
lignes et plans n’est point désincarnée.
Fuyant le didactisme académique, d’une toile à
l’autre et d’une exposition à
l’autre, l’artiste trace discrètement
mais résolument son chemin, sur lequel elle nous invite
à la suivre pour partager ses convictions et ses
hésitations, ses hardiesses et ses doutes, ses enthousiasmes
et ses inquiétudes. On peut sans contexte discerner des
périodes dans cet itinéraire, avec des
inflexions, des bifurcations ténues, mais pas de ruptures
majeures, de brusques changements de direction, de soudains abandons ou
de choix totalement impromptus. Une intuition première
– un instinct peut-être – semble l’habiter et la
guider. Non pas qu’elle ignore ou cherche à
masquer ses influences, ses dettes et ses admirations ( Paul Klee,
notamment) ; mais elle butine ses modèles avec une
telle liberté d’esprit et d’inspiration,
que l’originalité de sa création, loin
d’être atténuée,
s’en trouve au contraire rehaussée.
L’œuvre se perpétue sans se
répéter et se transforme sans
s’oublier. Au fil des ans, la peinture s’est
épurée, elle ne s’est pas pour autant
apaisée. Elle offre plus que jamais ce mélange de
jubilation et de gravité contrôlées qui
fait son mystère et sa beauté.
Les tableaux de MARIE JAVOUHEY sont des
promesses de
mondes qu’on pressent sans jamais
les arraisonner : véritables espaces transitionnels, ils
conduisent
toujours plus loin dans des labyrinthes dont on ne touche jamais la
fin.
La plénitude des surfaces ménage toujours une
ouverture imprévue,
fait circuler une liberté errante. Il y a quelque
naïveté
dans ces tableaux, un vague inachèvement, une
hésitation
devant le définitif, parce que l’artiste sait que
les formes jouent,
comme l’enfant, mais aussi comme le vieux bois qui continue
de vieillir,
de se transformer toujours. Le travail ne saurait jamais se dire tout
à
fait achevé, car un tableau peut-il avoir une fin ? ; la
main est
toujours appelée à retoucher , à
réajuster
encore, pour obéir à ce qui n’est,
à vrai dire,
que la vie inépuisable des formes.
J-Jacques Wunenburger, professeur de philosophie ,
Directeur du Centre de Recherche sur l’imaginaire et le rationnel,à l’Université
de Bourgogne.
La sérénité
exceptionnelle qui
émane de certains tableau est ce qui me
frappe le plus dans cette peinture qui ne boude jamais la
référence
au plaisir. Alors que certains artistes contemporains
procèdent
à une facture convulsive ou destructive pour exprimer les
tragédies
de notre époque, l’œuvre de MARIE
JAVOUHEY semble indiquer plutôt
que la beauté sereine, que la beauté
maîtrisée
pour elle-même constitue le vrai processus de subversion, ce
par
quoi émerge le mystère fondamental de notre
relation au monde.
Du reste, et pour autant
que l’on puisse en juger, la peinture de MARIE JAVOUHEY est
solidaire d’un
humanisme qui met en relief la liberté de
l’être humain bien
plutôt que l’angoisse métaphysique. Si
le processus créateur
est à la fois remise en question de soi et cheminement
libérateur,
c’est aussi vers autrui qu’il se tourne, en
quête de communication
et de liberation mutuelles. Par là, on comprend mieux que
cette
peinture se refuse à nous violenter, malgré des
véhémences
souvent contenues.
Jean Libis, Ecrivain
S’il fallait affirmer que ces
œuvres sont mystérieuses, ce
serait trop simple
et on supprimerait une dimension essentielle de leur qualité
artistique,
en se contentant d’en souligner l’aspect
inexplicable. Alors que ce qui
fait l’œuvre elle-même, c’est
précisément ce qui commence
à se révéler sous notre regard, ce qui
le ramène
sans cesse à elle et continuera à se
révéler
après. C’est seulement alors que « nous
y sommes » et
que nous réalisons que pour y rester, nus devons tout
reprendre
au début.
Heinke Fabritius, critique d’art à Berlin
A remarquer dans l’approche de la
peinture de
MARIE JAVOUHEY, une double ambivalence qui ne peut nous
laisser indifférent tant elle répond à
notre mode
de perception du quotidien. D’abord un double effet spatial
où s’imposent
en même temps une vision en plan vertical et une vision
surplombante
en plan de surface : une vue d’écran et une vue
d’avion. Deux appréhension
spatiale très présente dans notre quotidien en
référence
avec l’écran bureautique et
télévisuel et, d’autre
part, le déplacement aérien.
Extrait de M J Estrade, « Gestion de Fortunes », Nov 1997
La matière transpire, épaisse
et nerveuse sur une texture conçue comme
un huis clos où flottent des puzzles emboités.
Pourtant le
geste n’a rien de tendu. Il y a sans doute une
résolution et surtout
une générosité à mettre en
scène des
nappes et des entrefilets de pâte colorés qui non
seulement
prennent forme dans une sorte de symphonie silencieuse et
aérienne
mais aussi dans une inflexible concentration que l’artiste
nourrit avec
bonheur grâce à une belle force de conviction dans
l’élaboration
de ses compositions. En autodidacte curieuse et
réfléchie,
MARIE JAVOUHEY nous propose un regard ludique plein de petites
histoires
apparentées aux étapes de la vie. Les
superpositions «
géologiques » de sa peinture sont à
l’image de sa technique
lorsqu’elle souligne que : « chaque couche est
nécessaire
à la suivante, elle n’existe pas sans elle et
représente
un processus d’évolution. Lorsque je gratte
ensuite la couleur et
que l’une des couches inférieures
apparaît, je montre que
le passé est nécessaire au présent et
que tous deux
sont interdépendants.
L’artiste met en mouvement
un équilibre qui peut sembler fragile ou même
précaire
lorsqu’elle retranscrit sur ses toiles ces mondes clos en
apesanteur. Pourtant
rien n’est plus solide que ces petites bulles spatiales que
l’on dirait
construites sur des lignes de flottaison. On a vaguement
l’impression qu’un
sentiment d’insécurité va nous
surprendre, et néanmoins
c’est le contraire, la stabilité mouvante nous
rassure. C’est en
quelque sorte cette dimension essentielle qui fait la force
créatrice
de cette peinture. MARIE JAVOUHEY ne recrache pas
mécaniquement
des émotions ou des réflexions
accumulés au gré
d’histoires vécues ou imaginées, elle
les retravaille, les
stratifie, les façonne, les malaxe avec la douce
énergie
d’une femme d’abord contemplative puis
très vite résolue
et précise au fur et à mesure que sa recherche
avance. Séduit
par la profondeur de son travail, le philosophe et écrivain
JEAN
LIBIS dit de MARIE JAVOUHEY : « que son œuvre
picturale ne cultive
ni les joliesses, ni le pittoresque, ni les filons à la
mode, ne
s’inscrit pas dans le reigne de la facilité et ne
cultive pas plus
l’académisme que les contorsion d’avant
garde. » Ce qui en
soi est un beau compliment.
Harry Kampianne, Arts Actualités Magazine, Janvier 1999
Couleurs et Sentiers pour rêver :
« La couleur est vivante » disait Cézanne. Chaque toile de Marie Javouhey est un monde
issu d’une couleur essentielle et
structuré par elle. Nuances et camaïeux s’organisent et s’interpénètrent.
Les passages sont progressifs, discrets.
Généralement, chaque plage colorée porte en elle des traces délicates, des
vestiges ténus de teintes environnantes
ou de la tonalité dominante. Née d’une matière picturale dense, savamment et
subtilement travaillée, la couleur produit
la lumière qui anime l’ensemble des tableaux.
Ainsi, l’imagination du spectateur peut-elle s’aventurer dans l’intimité de mondes
élémentaires, dans tous les bleus du ciel,
de l’eau et de la nuit, dans les beiges et les ocres éteints des sables et des argiles, dans
les orangers et les rouges du soleil couchant.
Au sein de cette matière picturale compacte et sensuelle, la rêverie n’est pas dépourvue
d’ancrages. Quelques sentiers effilés
au tracé erratique, léger et nonchalant, parcourent les surfaces colorées. Ils tissent
les fils d’un rêve issu d’une
perception visuelle, d’une impression auditive, d’un souvenir. Pour le spectateur, peu importe
leur origine, ce sont
des chemins ouverts à son imagination, sur lesquels il se laissera conduire.
Mais ces chemins ne sont pas sans repères, ni occasions de découvertes. On y rencontre de
petits îlots de matière
légèrement protubérante aux couleurs intenses, aux contours irréguliers, des
formes géométriques incertaines, des esquisses allusives,
d’humbles objets de la vie quotidienne, des personnages semblant issus de bandes dessinées ou
de rêveries enfantines,
des êtres et des objets loufoques, naïfs, dérisoires parfois : moulin à café, « Machine
à prendre son temps », têtes diverses
et autres « Trublions ».
« Cheminement » est un titre récurrent. L’artiste, en effet, trace les chemins d’une
rêverie ludique où aucune forme vraiment
arrêtée ne coupe les ailes à l’imagination. Affranchie à la fois des contraintes de la représentation
et des fantasmes intérieurs
qui, ordinairement, envahissent une rêverie sans guide ni point d’ancrage, l’imagination du
spectateur trouve dans
le tableau l’espace d’un libre jeu. C’est là, sans doute, l’origine de la séduction
qu’exerce sur nous l’ouvre de Marie Javouhey
et de la joie qu’elle nous procure, au-delà de l’enchantement visuel immédiatement
provoqué en nous par la couleur.
Michèle Pichon.
Pour information :
Michèle Pichon est agrégée de philosophie et docteur en philosophie. Elle travaille en
collaboration avec des peintres et
des plasticiens et a rédigé divers articles sur l’Abstraction naturaliste ainsi que sur
l’utilisation de l’outil informatique
et de la géométrie fractale dans les arts plastiques.